Biographie
Née en 1956 à Paris, Makhi Xenakis a tracé un parcours artistique où la peinture, la sculpture et l’écriture s’entrelacent dans un dialogue avec la mémoire, l’histoire et la condition humaine. Depuis son enfance, le dessin a été son langage constant, un moyen de comprendre le monde et elle-même. Ses études en architecture, sous la direction du visionnaire Paul Virilio, l’ont menée à la création de décors et de costumes de théâtre, notamment à travers sa collaboration avec le metteur en scène avant-gardiste Claude Régy. Son parcours artistique a pris un tournant décisif en 1987 lorsqu’elle s’est installée à New York, se consacrant exclusivement à la peinture. Là, une rencontre allait s’avérer déterminante : sa connaissance avec Louise Bourgeois. Leur relation a dépassé les limites de l’apprentissage, évoluant en un dialogue profond et créatif qui a culminé en 1998 avec la publication de Louise Bourgeois, L’aveugle guidant l’aveugle (The Blind Leading the Blind)—une œuvre qui n’est pas seulement un portrait de Bourgeois, mais aussi une exploration réflexive du processus artistique lui-même.
Le travail de Xenakis se caractérise par une quête incessante autour de la transformation, de la mémoire et de la fragilité de l’existence. En 1999, elle a présenté sa première exposition de sculpture, accompagnée du livre Parfois seule (Sometimes Alone), établissant ainsi sa voix dans le monde de l’art contemporain. Son affrontement avec le spectre du passé s’est poursuivi en 2001 avec Laisser venir les fantômes (Let the Ghosts Come), une exploration des empreintes invisibles laissées par le temps. Un moment clé de sa carrière a eu lieu en 2004 lorsqu’elle a été invitée à exposer à l’historique Hôpital de la Salpêtrière à Paris. Dans ses archives, elle a découvert des documents relatant l’enfermement et l’emprisonnement de femmes condamnées pour des délits de droit commun, de débauche et de prostitution, remontant à l’époque de Louis XIV. Cette découverte bouleversante a donné naissance à Les folles d’enfer de la Salpêtrière (Les Folles de l’Enfer de la Salpêtrière), une installation de 260 sculptures donnant forme à la souffrance silencieuse de ces femmes. Le livre éponyme qui accompagnait l’exposition s’est imposé comme une œuvre aux frontières de l’art, de la littérature et du témoignage historique.
La sculpture de Xenakis se distingue par une esthétique organique, presque irréelle. Ses œuvres semblent émerger d’une matière primordiale, évoquant des créatures marines, des formes chimériques ou des fragments de corps palpitant de vie. Des séries comme Métamorphoses (Metamorphoses) témoignent de son obsession pour la transformation—où les corps se dissolvent, fusionnent, se métamorphosent, évoluant entre l’humain, l’animal et le mythologique. Ces formes résonnent avec ses souvenirs d’enfance, lorsqu’elle plongeait en Corse avec son père, le célèbre compositeur et architecte Iannis Xenakis. La présence de ce dernier a été déterminante dans son développement personnel et artistique. En 2015, elle a publié Iannis Xenakis, un père bouleversant (Iannis Xenakis: A Moving Father), où elle dévoile sa relation avec son père, mettant en parallèle son propre parcours artistique avec le génie musical et architectural de ce dernier. Il ne s’agit pas simplement d’une biographie, mais d’une réflexion introspective sur la façon dont l’identité se construit lorsqu’on grandit dans l’ombre d’une figure monumentale.
Tout au long de sa carrière, Xenakis a maintenu un dialogue constant entre différentes formes d’expression—le dessin, la sculpture, l’écriture—où chaque médium lui permet d’exprimer ce qui ne peut l’être à travers un autre. Dans Louise, sauvez-moi! (Louise, Save Me!) (2018), elle revisite sa relation de longue date avec Louise Bourgeois, construisant un récit qui mêle mémoire, art et l’expérience unique d’être une femme artiste dans un monde qui cherche souvent à la limiter. Parallèlement à son propre cheminement créatif, elle a consacré une grande partie de son travail à la préservation et à la diffusion de l’héritage de son père. Elle a co-organisé l’exposition Iannis Xenakis, draughtsman on the dawn of work en 2012 et a participé à la célébration du centenaire de sa naissance à la Cité de la Musique en 2022. Cet engagement dans les archives reflète son obsession artistique plus large : la sauvegarde, la mémoire et la réinterprétation du passé. Son travail a été présenté dans des lieux culturels majeurs tels que le Centre Pompidou, le Musée Zadkine, le Orlando Museum of Art et le Domaine de Chaumont-sur-Loire, tandis que ses dessins et installations sculpturales font partie de prestigieuses collections publiques et privées à travers le monde.
Pour Makhi Xenakis, la création est un acte de résistance contre l’oubli, une invocation de l’invisible. Qu’elle sculpte des formes imaginaires, grave l’empreinte de l’histoire à l’encre ou explore ses propres souvenirs, son œuvre reste profondément expérientielle et poétique. Comme elle l’affirme elle-même : « Quand je commence un dessin ou une sculpture, j’attends ce moment magique où soudainement quelque chose de nouveau et de vivant va apparaître, quelque chose qui nous relie à notre vitalité, notre universalité, notre intimité. Ensuite, je crée la sensation exquise de la vie—et, de loin, un peu de mort. Mon travail me semble vraiment accompli lorsque je retrouve ce sentiment chez quelqu’un qui le regarde. » Makhi Xenakis continue d’évoluer en tant qu’artiste d’une sensibilité et d’une introspection profondes, oscillant sans cesse entre passé et présent, entre les ombres de l’histoire et la vie toujours en mouvement de l’art.
Georgia Dimopoulou
Classicienne – Éditrice
Source : Les informations et le matériel photographique de ce texte proviennent du site officiel de Makhi Xenakis.